Dépistage du cancer du sein, actualité & perspectives

Cat. : L’actu de la recherche

Jean-Benoit BURRIONPar le Dr Jean-Benoît BURRION, Chef de Clinique "Prévention & dépistage" - Institut Jules Bordet

Le dépistage du cancer du sein est un enjeu de santé publique. La Belgique possède le record mondial d’incidence du cancer du sein standardisée pour l’âge. Elle se classe en troisième position pour la mortalité spécifique. Les causes ne sont pas claires et vraisemblablement multifactorielles.

 

La Belgique, record mondial du cancer du sein

Comme la plupart des pays euro-péens, la Belgique a mis en place un programme de dépistage dès 2001. Malgré des taux de couvertures très différents selon les régions du pays, la baisse de mortalité spécifique de 2 % par an (observée dans la grande majorité des pays européens), est la même. La stratégie de dépistage basée sur l’âge comme seul facteur de risque est recommandée par l’Union Européenne.

Elle est cependant de plus en plus souvent débattue pour son impact relatif sur la mortalité et quasi-nul sur l’incidence des tumeurs avancées (stades II et au-delà) ainsi que pour les inconvénients qu’elle génère. Rappelons que le dépistage de masse génère un nombre non négligeable de faux positifs et de biopsies inutiles, le risque sur 10 ans allant de 4,8 % à 7,0 %.

Il entraîne également des sur-diagnostics (i.e. la détection de tumeurs qui n’auraient pas été diagnostiquées sur une période de vie entière en dehors de l’existence du dépistage), dont la proportion est estimée à 20 % des cancers découverts.

L’idée est dès lors qu’une stratégie de dépistage prenant en compte d’autres facteurs de risque aujourd’hui bien documentés (antécédents familiaux, densité mam- maire, variants génétiques) pourrait conduire à de meilleurs résultats tout en diminuant les inconvénients. C’est ce que l’étude européenne My Personal Breast Screening (My PeBS) se propose de tester dans le cadre d’un essai clinique multicen- trique randomisé portant sur 85.000 femmes volontaires.

 

Vers une évolution des stratégies de dépistage

Chez les femmes à très haut risque en raison d’une mutation héritée, un dépistage spécifique, personnalisé, a montré son intérêt. De même, chez les femmes avec un risque plus élevé dû à un antécédent de cancer du sein, de cancer in situ (DCIS, LCIS), de lésion atypique, de radio- thérapie en mantelet (irradiation simultanée des aires ganglionnaires du cou, du thorax et des aisselles dans les lymphomes non-hodgkiniens), les guidelines nationaux et internationaux recommandent un dépistage spécifique.

Cependant, pour la grande majorité des femmes qui ne présentent pas de tels antécédents, la recommandation est le dépistage par le programme habituel, établi uniquement sur base du critère d’âge. Pour cette population générale, le développement d’une approche plus efficace, basée sur le risque, requiert des modèles d’estimation du risque qui soient validés, et qui aient démontré leur utilité clinique.

Plusieurs modèles d’évaluation du risque du cancer du sein ont été développés ces 25 dernières années, prenant en compte des variables cliniques telles que l’histoire familiale, les antécédents personnels de lésions mammaires, la densité des seins, l’exposition aux œstrogènes endo- ou exogènes.

 

Une meilleure connaissance des variants génétiques

Les progrès en génomique de ces dernières années (genome-wide association studies) ont permis d’identifier plus de 300 variants génétiques (SNP’s , « Single Nucleotide Polymorphisms ») associés à un risque de cancer du sein .

Des scores de risque polygénique établis sur l’association de plusieurs variants ont été validés. Leur association aux autres facteurs de risque dans les modèles existant a montré leur capacité à augmenter le pouvoir discriminant de ces modèles dans la détermination du risque.

Ainsi par exemple, le projet PROCAS mené par l’Université de Manchester a démontré l’utilité clinique, en terme de prédictibilité du risque, de l’utilisation combinée du modèle dit de Tyrer- Cuzik, incluant la densité mammaire, et des scores polygéniques.

Nous disposons donc aujourd’hui d’un outil validé d’évaluation du risque de cancer du sein prenant en compte, au-delà de l’âge, un ensemble de paramètres qui lui confèrent un pouvoir discriminant plus important.

 

Un projet européen pour une meilleure stratégie de dépistage

Le projet My PeBS (My Personal Breast Screening), est une étude randomisée de phase III visant dès lors à comparer la stratégie de dépistage standard 'one size fits all' actuelle- ment recommandée, à une stratégie de dépistage différencié par strate de risque, dans la population des femmes de 40 à 70 ans. Ce projet, financé par l’Union Européenne, est mené dans 5 pays (France, Italie, Royaume-Uni, Belgique et Israël) et est coordonné par UNICANCER à Paris.

L’objectif de recrutement est de 85.000 femmes, randomisées à parts égales. La période de recrutement s’étend sur 2,5 ans. Le protocole consiste à proposer aux femmes randomisées dans le groupe interventionnel une évaluation de leur risque individuel, sur base des critères généraux (antécédents personnels et familiaux), histologique (densité mammaire), et génétique (SNP’s).

En fonction de leur niveau de risque (exprimé en % de risque de cancer du sein sur 5 ans), ces participantes auront un protocole de dépistage spécifique :

  • pas de mammographie mais un simple conseil d’auto-examen des seins chez les femmes avec un risque bas (< 1 %)
  • mammographie tous les deux ans chez les femmes avec un risque moyen (1 à 1,66 %)
  • mammographie annuelle chez les femmes avec un risque élevé (1,66 à 5,99 %)
  • mammographie et résonance magnétique nucléaire en alternance tous les six mois chez les femmes avec un risque très élevé (≥ 6 %).

Les mammographies seront accompagnées d’une échographie en cas de densité mammaire élevée (BI-RADS 4 et 5). Les participantes assignées au groupe témoin suivront le standard actuel (une mammographie tous les deux ans dès l’âge de 50 ans).

 

Conclusion

Le cancer du sein est un enjeu de santé publique. La stratégie de dépistage progressivement mise en place dans les pays européens depuis la fin des années 80 est basée sur la seule prise en compte de l’âge comme facteur de risque.

Cette stratégie est aujourd’hui débattue parce que son efficacité, bien que réelle, semble limitée et parce qu’elle est accompagnée d’inconvénients (sur-diagnostics, faux positifs).

Une approche tenant compte d’autres facteurs de risque, estimés au niveau individuel, pourrait en améliorer l’efficacité et en diminuer les inconvénients. Nous disposons aujourd’hui d’outils validés pour tester une telle approche. C’est ce que propose l’étude MyPeBS dont l’objectif final sera de fournir des recommandations pour améliorer la stratégie de dépistage des cancers du sein en Europe.