Interview croisée: Pour une meilleure qualité de vie des patients & de leurs proches
Par Gilda Benjamin, journaliste.
'Les Amis de l’Institut Bordet' soutiennent depuis de nombreuses années la Clinique de Psycho-Oncologie de l’Institut Bordet, créée par le Pr Darius Razavi.
Rencontre avec un médecin et deux de ses collègues psychologues-cliniciens, tous deux Docteurs en Sciences Psychologiques et de l’Education, qui sont engagés au quotidien dans la promotion de la qualité de vie des patients et de leurs proches.
Aurore Liénard se consacre notamment à améliorer la communication des patients présentant une affection cancéreuse avec leurs enfants et Yves Libert aux formations à la communication destinées aux soignants.
La réflexion du service de psycho-oncologie quant à la communication soignants / soignés est-elle dans la continuité des valeurs de l’Institut Bordet ?
Darius Razavi : Dans une institution médicale spécialisée en cancérologie, l’approche est constamment multidisciplinaire, non seulement pour favoriser une qualité optimale des soins mais aussi pour adapter les prises en charge aux besoins de chaque patient. La qualité d’une telle approche nécessite une bonne communication entre les médecins et plus largement tous les professionnels, le patient et ses proches mais aussi entre les professionnels eux-mêmes. Beaucoup de patients et de leurs proches sont en demande de ce type d’approche qui implique que les informations concernant les traitements et leurs conséquences leur soient transmises de façon personnalisée.
Une prise de décision nécessite un partage d’informations et d’explications. Il ne s’agit donc plus seulement d’informer le patient des raisons d’une décision médicale mais de considérer aussi sa perception de la situation, en ce compris ses craintes et ses souhaits. La relation avec les soignants devient collaborative et ce à tous les stades de la maladie.
Quelle évolution avez-vous remarquée dans l’attente des patients ?
Darius Razavi. Actuellement, les patients expriment très rapidement leurs désirs d’être informés et entendus par leurs soignants. C’était moins le cas avant. S’ils sont le plus souvent en accord avec le suivi thérapeutique proposé, ils veulent également pouvoir exprimer leurs sentiments par rapport à ce qui leur arrive. Ils ne demandent pas l’impossible, ils veulent être informés, entendus et compris.
Dans ce contexte, l’Institut Bordet a toujours soutenu les initiatives nouvelles susceptibles d’aider les patients et leurs proches. Il nous a notamment donné la possibilité de lancer des initiatives pilotes permettant de valider des méthodes pour optimiser la communication à tous les niveaux de notre organisation, non seulement avec les patients mais également entre les soignants.
Yves Libert. Les équipes de soignants de l’Institut sont également très en demande de formations à la communication. Confrontés à de nouvelles technologies, thérapies et méthodes de diagnostic, elles doivent quotidiennement faire face à de nouveaux défis en matière de communication.
Nous essayons de les aider à répondre à cette évolution constante de la cancérologie moderne mais également aux attentes des patients et de leurs proches. Autant de défis relationnels majeurs pour tous les soignants, depuis la personne à l’accueil jusqu’aux infirmières, aux médecins...
Existe-t-il une base commune de connaissances, une approche globale en psycho-oncologie ou est-ce obligatoirement au cas par cas ?
Darius Razavi. À part quelques notions théoriques et principes généraux, il n’y a pas de recettes faciles à mettre en œuvre. D’où le travail effectué par notre équipe. Il faut surtout apprendre à tous les professionnels de la santé à dépasser leur peur de communiquer.
L’idée a été d’inviter les professionnels à participer à diverses simulations de situations cliniques dans le cadre de formations en très petits groupes. Ceci leur a permis de dépasser leurs peurs et de développer une communication plus empathique avec les patients et leurs proches. Ceux-ci se sentent alors mieux compris, moins insécurisés et peuvent mieux puiser dans leurs ressources psychologiques, familiales et sociales pour s’adapter aux traitements ou pour demander un soutien en cas de besoin.
Pour dire les choses autrement, la communication des soignants en oncologie se doit d’être empathique. Ils doivent pouvoir se permettre d’être touchés, de rentrer en relation, de détecter les détresses, de poser des questions et bien sûr d’échanger à propos des préoccupations, des incertitudes, des espoirs, des souffrances, de la douleur et de la mort.
Yves Libert. L’incertitude, qui fait partie du parcours de tous nos patients, est au cœur des préoccupations de tous les soignants. La chose qui fait le plus peur n’est pas un danger reconnu et avéré mais bien l’incertitude. Ceci explique la peur de la récidive ou de la progression si souvent évoquée par nos patients et leurs proches. Nous avons développé une formation spécifique pour aider les soignants à aborder avec les patients et leurs proches cette incertitude et les espoirs associés au pronostic de vie, aux traitements, aux chances de guérison, etc.
Qu’en est-il de l’annonce du diagnostic ?
Aurore Liénard. Dans le contexte oncologique, il faut considérer qu’il y a différents moments d’annonces positives ou négatives dans le décours de la maladie : résultats d’examen, diagnostic, rémission, récidive... De plus, une annonce en comporte le plus souvent plusieurs : diagnostic, traitement à envisager, implication pour les proches... Ces annonces sont des moments-clés dans le parcours du patient.
Adapter l’information à transmettre et la rendre compréhensible pour le patient sont la base du processus de décision collaborative que nous venons d’évoquer. Il est essentiel que les soignants soient formés aux annonces de nouvelles.
Darius Razavi. Il faut savoir que, lorsque l’information est complexe, 50 % de son contenu n’est pas retenu par le patient et ce dès la fin de la consultation. A cela, il faut ajouter que 10 % de cette information sera même transformée par le patient. Il s’agit de résultats issus d’un des travaux de recherche menés par le Prof. Isabelle Merckaert qui pilote dans notre Institut des groupes de soutien destinés aux patients qui terminent leurs traitements.
Le niveau d’anxiété très élevé que le patient présente lors de la consultation d’annonce d’un diagnostic « tunnélise » sa pensée, l’empêchant de comprendre les informations transmises. Dans nos formations, on apprend au médecin à vérifier ce que le patient a entendu et compris, à revenir sur les points importants ou difficiles à comprendre. Le fait que certains patients ont des origines culturelles différentes accroît la probabilité de malentendus.
Pouvez-vous nous parler de cette question cruciale de la communication du patient avec ses proches et avec ses enfants ?
Aurore Liénard. Une des premières préoccupations des patients est : « Que vais-je dire à mes proches ? A mes enfants ? » Derrière cette question s’exprime surtout une réaction de protection vis-à-vis de ceux-ci.
Réaction d’autant plus forte quand elle concerne leurs enfants. Il faut savoir que ceux-ci sont sensibles à ce qui arrive à leurs parents et qu’ils souhaitent à leur tour les protéger. Conscients de cet enjeu, nous proposons une intervention psychologique de soutien à la parentalité centré sur la communication avec l’enfant. Nous rencontrons les parents, lors de plusieurs entretiens, pour aborder cette question de façon approfondie et personnalisée à chaque famille.
Darius Razavi. D’ailleurs, nous avons développé le même type d’intervention de soutien à la communication pour les couples. Au sein de ceux-ci, la protection réciproque peut réduire la communication et générer un sentiment de solitude. Il faut donc aider certains patients et leur conjoint à réamorcer une communication plus ouverte malgré la maladie. Avec ce programme qui soutient la communication avec les proches, les patients découvrent par exemple que protéger ne signifie pas obligatoirement se taire mais plutôt dire les choses de manière appropriée et entendre les préoccupations de son proche.
Aurore Liénard. Nous avons également un programme, soutenu depuis le début par « Les Amis de Bordet », qui est consacré aux enfants de nos patients au sein même de l’Institut. Les patients et leurs enfants sont accueillis par des psychologues lors d’une permanence le mercredi après-midi. Ces derniers proposent des activités avec les enfants autour de leurs émotions, de leur compréhension de la maladie, du lien avec leurs parents, de leurs questions...
Comment se passent les formations pour les soignants ?
Yves Libert. Elles sont organisées pour un groupe restreint de participants, de 6 à 7 personnes. Pour des sujets plus sensibles, le groupe peut même être réduit à 3 participants, du même service ou non. Il s’agit d’aider les soignants en partant de leurs situations cliniques les plus compliquées et de travailler avec eux par des techniques de jeux de rôles. Ils y prennent le rôle du soignant comme du patient, afin de tester des stratégies de communication. Un groupe restreint permet de se montrer bienveillant, de soutenir les participants dans ces exercices compliqués. Ces techniques très participatives sont directement orientées vers la pratique clinique. Les soignants manifestent toujours de l’intérêt quand il s’agit d’améliorer leur communication. Le défi reste de trouver du temps, une formation optimale durant de 20 à 30 h.
Darius Razavi. Un clinicien aura en moyenne, au cours de sa carrière, entre 120 000 et 150 000 contacts avec des patients et leurs proches ! Nous proposons ces formations à tous les jeunes médecins rentrant à l’Institut. Elles sont bien sûr ouvertes à tous les autres médecins en fonction de leur motivation.
Qu’avez-vous remarqué quant à leur efficacité ?
Yves Libert. Ces formations se révèlent très efficaces quand il s’agit d’annoncer de mauvaises nouvelles aux patients mais aussi pour renforcer la cohésion des équipes de soignants autour des patients dans un cadre multidisciplinaire. A noter qu’elles permettent aussi d’augmenter la satisfaction des patients avec un impact positif sur leur implication dans leur traitement et les décisions à prendre. Une meilleure communication représente enfin moins de stress professionnel pour les soignants, et donc plus d’épanouissement au travail.
N'y a-t-il pas une contradiction actuelle entre les bienfaits de ces formations et la pression à laquelle les soignants sont de plus en plus soumis en termes de rentabilité ?
Darius Razavi. Ces pressions freinent les transformations institutionnelles indispensables en matière de Psycho-Oncologie. Il est de la responsabilité de tous de préserver une cohérence fonctionnelle pour résister aux effets négatifs des pressions.
L’Institut Bordet a cette tradition d’avoir toujours favorisé une proximité avec les patients et leurs proches. Il y a une conviction profonde, à tous les niveaux de notre hiérarchie, que le bien-être du patient est l’objectif de nos interventions. C’est une culture institutionnelle qui permet de résister aux effets potentiellement négatifs de l’exigence de rentabilité mise en avant actuellement dans le champ des soins de santé.
La pérennité de la Clinique de Psycho- Oncologie et de ses recherches est-elle acquise ?
Aurore Liénard. La Clinique de Psycho-Oncologie s’ancre sur trois axes complémentaires :
- les interventions cliniques
- la recherche scientifique
- la transmission de savoirs.
Ces trois axes s’enrichissent mutuellement. Ainsi par exemple, la recherche s’avère essentielle pour évaluer si les interventions et les formations que nous pro- posons sont bénéfiques pour les soignants, les patients et leurs proches.
Yves Libert. L’un de nos projets est d’outiller les soignants non seulement dans la phase de diagnostic et de traitement mais aussi dans celle du suivi du patient, quand la maladie devient chronique, métastatique ou en phase terminale. Les méthodes évaluées dans nos programmes de recherche, une fois validées, sont directement transférées dans les différents services pour aider les soignants, les patients et leurs proches.